C’est très doux et un peu angoissant en même temps, ces yeux qui glissent sur mes phrases, au fil des pages. Mignon aussi, ce front un peu plissé par la concentration et ses lèvres qui parfois forment des mots tout en les lisant. Quelle belle expérience pour moi qui ne suis qu’un livre. Je crois que je suis ce que les humains et les écrivains appellent : amoureux. Je ne me souviens même plus de la tête de Mallock, alors qu’on a passé des centaines d’heures face à face. Je n’ai envie de rien et je ne pense qu’à elle, à l’instant où elle me reprendra dans ses doigts.
Une fois arrivée au bord de la mer, elle m’a posé sur sa table de nuit. Et dès le lendemain matin, elle m’a emporté avec elle à la plage… J’aurais jamais cru que c’était aussi chaud, ce truc que vous appelez soleil. Bien sûr Mallock en a fait moult descriptions, mais il faut le vivre en vrai pour vraiment comprendre. Vers trois heures de l’après-midi, ma couverture était brûlante et le singe essayait de plisser des yeux. Le pauvre m’a demandé d’intercéder auprès de notre lectrice pour aller lui acheter des lunettes noires. J’ai cru qu’il commençait à avoir la grosse tête. Mais ce soir, c’est moi qui souffre.
Le sable entre les pages me gratte et m’empêche de m’endormir.
Enfin, ce sont là de bien petits désagréments pour une immense satisfaction. J’aime tant lorsqu’elle sourit à un passage ou qu’elle le relit. J’adore quand l’action se tend et qu’elle me dévore. C’est une sacrée expérience, de sentir les petites dents de ses yeux me grignoter à toute allure, ligne après ligne (Rassurez-vous, les pages se reconstituent au fur et à mesure !). Et je me dis que ça valait la peine d’avoir passé des jours en pile, ignoré de tous, lorsqu’elle parle gentiment de moi à ses amies. Qu’est-ce que je suis fier lorsqu’elle s’écrie : « Ce bouquin est génial. Il faut absolument que tu le lises ».
Y’a qu’un truc cependant qui vient quelque peu nuancer mon enthousiasme… c’est quand elle brise, sans pitié, l’une de mes pages avant de me refermer. Je ne suis pas complètement con, j’ai compris. C’est pour retrouver l’endroit exact de sa lecture. Mais c’est douloureux, un peu comme un claquage dans une cuisse, et franchement, elle pourrait utiliser un « marquetapage » en carton, tout le monde en distribue de nos jours. J’avoue, mais c’est un goût personnel, que je serais on ne peut plus heureux si elle en glissait un en or ou en ivoire entre mes pages.
Mallock prétend que je suis parfois un peu snob, le rustre !