Quand rien ne compte plus vraiment, plus rien n’a goût de rien et des chalands d’chagrins déchirent des océans de soie pourpre. Quand on se fout de tout et tout se fout de nous. Va lui dire que c’est pas grave, au commissaire, que demain ça ira mieux. Dis-lui toutes tes platitudes acidulées et les choses peintes en rose. Promets-lui des piscines et des enfants dedans. Sous ses nuages sarcophages, Amédée s’accroche à ses casseroles et Mallock essaye de vivre encore :
– Je sais bien que j’devrais pas parler tout haut, mon chéri. Je dois avoir l’air d’un vieillard gâteux, mais tu me manques tant…
Aujourd’hui 30 décembre, Thomas aurait dix ans. En ouvrant un pot en verre, Mallock lui parle, et sa voix résonne, sombre et rauque, dans la solitude de l’appartement.
– Tu n’as jamais goûté au confit de canard, mon bébé ? Je suis sûr que tu aurais aimé. Je l’aurais fait avec des petites pommes taillées carrées et grillées lentement avec de l’ail et du persil. T’aurais adoré, mon bonhomme.
Et puis, il y aurait eu le gâteau avec les dix bougies, et lui qui souffle et lui qui rit. Et son papa aussi.
La mort d’Amélie a réveillé chez lui la douleur de Thomas. Et c’est tous les deux qu’il pleure désormais. En fait, l’un après l’autre, dans une espèce de tennis de tristesse. Lorsqu’il se concentre pour quitter le souvenir de Thomas, il tombe dans celui d’Amélie. Et, de l’autre côté du cours, elle le frappe à son tour, tennis triste. Dans la rue, c’est pareil, chaque cri d’enfant le ramène à son Tom, chaque jupe de femme à son Amélie. Et puis, tous ces visages qui leur ressemblent !
Dehors, après s’être trop longtemps vautré dans une sorte d’été indien, un ersatz de printemps, le temps s’est brusquement précipité dans un hiver brutal, une éternité de givre et de glace.
Chez Mallock, tout est grand, tout est lourd, son ventre et son cœur, ses mains et ses colères. Sa tendresse aussi. Alors pourquoi en serait-il autrement de ses douleurs ? Ce soir, sa tristesse pèse des tonnes.