Je m’appelle Manuel Gemoni. C’est tout ce qui me reste comme certitude. Depuis trois jours, je suis couché au pied d’une église, à quelques pas d’un âne mort. Comme lui, je suis sale et je pue. Ce matin, une vache famélique est venue nous rejoindre. Elle a léché le nez du bourricot avant de s’allonger sur un tas de pailles entre nous deux. Dans l’ombre violette de l’édifice religieux, on ressemble tous les trois à une tentative désespérée de crèche. Si l’on tient jusqu’à Noël, il y aura peut-être d’autres animaux, pour venir nous rejoindre. Sur cette place embrasée bientôt passera l’ogre, le monstre de l’île, l’abject vieillard. Avec jubilation, je le massacrerai ! Sans tempérer le moins du monde ma résolution, une chose me trouble. Certes, je le hais de toute la force de mon âme. Mais, je ne sais pas pourquoi.