Nouvelle série en attendant la suite : morceaux choisis des « Chroniques Barbares ». Extrait N° 1 : passage entre première et seconde partie des « Visages de Dieu » :
Au détour du pilier, sous la chaire, il y avait une grande vasque de marbre clair en forme de coquille Saint-Jacques. Dedans, baignant dans son sang, un enfant d’environ un an, maquillé amoureusement comme un ange de fresque. Ses pieds et ses mains dépassaient de la baignoire mortuaire. Son petit ventre gonflé surnageait à la surface, îlot lunaire entouré de pourpre.
Mallock fit, pour la première fois depuis la mort de Thomas, un signe de croix, avant de retirer son manteau et de le poser sous le bénitier. Il en sortit le petit compact numérique qu’il avait toujours sur lui, au cas où…
– Appelle le 36, demanda-t-il à Léon en lui tendant son portable ! Qu’ils viennent avec les techniciens !
Sans attendre de réponse, il entreprit de prendre la scène en photo. Il tourna tout autour, multipliant les angles. Il fit aussi des plans plus généraux et des plans rapprochés, jusqu’à photographier à quelques centimètres.
Léon revenait vers lui avec la réponse à son appel lorsqu’il vit son ami faire quelque chose qui le stupéfia. Il comprit alors pourquoi Amédée avait décidé de prendre lui-même les premiers clichés de la scène de crime. Il ne voulait pas laisser l’enfant dans cet état-là, à la vue de tous.
L’ombre de Thomas était là aussi, certainement.
Léon vit le grand corps de Mallock se courber sur le coquillage en marbre, enfoncer ses bras dans le sang du bénitier et attraper la dépouille de l’enfant.
Bruit d’eau. Tristesse sucrée. Étrange odeur fruitée. Détresse mouillée. Gouttes ensanglantées tombant sur les dalles ancestrales !
Avec un soin infini, Amédée déposa le petit corps maculé du bébé sur son grand manteau de commissaire. Puis il resta là, un peu interdit, les bras de veste gorgés de sang.
Préservation des traces et des indices, combien de fois avait-il hurlé contre ses lieutenants ? Et là, il bougeait carrément le corps ! Même si ce n’était pas crucial, puisqu’il avait pris tous les clichés qu’il fallait, c’était un geste inconsidéré.
Il commença à énumérer mentalement ce qu’on allait retrouver dans le sang du bénitier : des fibres de son propre manteau, certainement des poils de Mimi, la petite chatte de la gardienne, des traces de whisky et des brins de tabac… Il regarda à nouveau le bénitier en forme de coquille. Tout autour, étaient tombées des gouttes rouges par millier.
D’un innocent, toute la vie en pluie.
Le chanoine, qui s’était rendu dans la sacristie, repassa devant Mallock pour placer un crucifix en argent sur le linceul improvisé. Encore bouleversés, les trois hommes se rapprochèrent l’un de l’autre, comme pour entonner une dernière prière.
Il était minuit. Provenant du dehors, des rires et des hurlements de joie pénétrèrent dans l’église, en se répercutant dans la nef :
- Quatre, trois, deux, un… BONNE ANNÉE !
SECONDE PARTIE
Samedi 1er Janvier
Ce matin-là, il revint à l’aube, le cœur serré et le corps souillé. À peine entré, il retira ses vêtements pour les jeter dans un sac. Il ne savait pas encore s’il devrait les mettre à la poubelle ou de les donner au teinturier. Il décida de les garder sans les laver. On ne sait jamais. Il avait fait assez de conneries sur la scène de crime.
Mallock resta ainsi, longtemps, nu et poisseux, assis sur le tabouret de la salle de bain, mains posées sur les genoux, visage baissé vers le sol.
Avait-il bien vu ? Ses doigts et ses poignets pleins de sang ne lui permettaient pas de vraiment douter. Certaines certitudes sont effrayantes, celle-ci en faisait partie : un enfant torturé et supplicié, déposé comme une offrande au Diable dans le bénitier d’une église en plein milieu de Paris.
Cette image l’obsédait, ridicule, effrayante, grotesque, celle d’un roudoudou géant. C’est à ça que la scène de meurtre ressemblait. Une confiserie faite de sucre cuit parfumé, coulée dans une petite coquille en forme de pétoncle. Un roudoudou aux fruits rouge dans lequel on aurait mis un bébé en plastique avant de remplir le coquillage de sirop de fraise ou de framboise, pour que le baigneur se fige à l’intérieur. Rouge et blanc. Oui, il y avait le goût du grotesque chez le Maquilleur. Il y avait chez le ou les Maquilleurs, cette même obsession pour le diable et les tortures de l’enfer, la rédemption par le supplice, que l’on pouvait trouver dans les peintures de Goya ou de Jérôme Bosch. Mallock…
En gros, c’est pour nous inciter à relire la série, pour faire passer la pilule parce que c’est trop long d’attendre le prochain…
Belle idée 😉
Malheureusement, ça ne dépend pas vraiment de moi. La suite est écrite ainsi qu’une nouvelle série « sans » le commissaire. Et puis, il y a encore « pas mal » de gens qui n’ont pas lu ces fameux premiers 🙂
Au top !
Merci Aurélie !