Me voilà qui pleure les vacances d’enfance, avec ses journées interminables de jeu et de contemplation. Une vie nouvelle pour des yeux nouveaux, une vie à regarder des choses. Du brin d’herbe au grain de blé, du jour à la nuit, des nuages aux étoiles. Grandes vacances, cette éternité qui revenait chaque année au bout du tunnel scolaire. Paradis après l’enfer. L’été après l’hiver. Avec ses digues et ses guiguis, ses pontons, ses parasols et ses grappes de baigneurs qui rigolent.
Petit, peuplé de chimères, j’avais déjà entre les dents le goût du sang et les fracas métalliques d’épopées oniriques. Debout, en mes châteaux de sable, je me rêvais aventurier, barbare barbu, navigateur de mers rouges. Pilote timbré de l’aéropostale, tout fier, emmitouflé en montgolfières, grand enjambeur de cimes, je plantais mon drapeau sur les sommets enneigés du mont Ivresse. Quand il faisait plus chaud, j’allais à l’équateur, explorateur à vapeur. À bord de ma reine africaine, je devenais libérateur d’apeurées et de roses enchaînées à des ventilateurs. J’étais admirable alors, bien que personne ne le sache encore.
Aujourd’hui, revenu à de plus humbles aspirations, j’écris à deux pas de la mer. Cinquante années se sont écoulées, des kilomètres de mots mâchés et de phrases alignées comme une ficelle infinie. D’actes aussi, entre inutile et dérisoire. Car autant l’avouer ici, d’Amazonie, je n’ai pas sauvé d’Indiens.
Alors, puisque me voilà condamné à me souvenir, pourquoi ne pas l’écrire ? Murmurer la nostalgie que j’ai des avenirs arborés que je parcourais en poussant des cailloux. J’ai la mélancolie du futur, de ces futurs que je m’étais inventé, si vite avortés. De mes espoirs d’héroïsme et de ma Mamie en chapeau blanc et robe rouge. Tandis que j’écrirai, par-dessus mon épaule, vous lirez mes histoires. Catharsis ou rêves éveillés, elles sont, rumeur, ce qui s’écoule de mes doigts. Flots de regret et de nostalgie, elles sont ce qui me révèle aux autres et à moi-même.
Dans le silence, j’écris, maintenant, passant lentement ma main gauche dans ma chevelure blanche. À mon esprit, les mots se présentent dans l’ordre, calmement, comme à la parade. C’est beau, non ? Ces mots et ces sentiments qui parviennent jusqu’à la page blanche, en glissant du passé au présent, du haut de ma tête jusqu’au bout de mes doigts, par le toboggan de mon bras.