On parle souvent de la peur de ne pas trouver un éditeur. Des envois désespérés par la poste. Des lettres types qui répondent à sa place. On parle moins souvent de la peur de la vitrine. Celle-là, ce n’est pas l’auteur qui la ressent, c’est le livre lui-même. Arrivé tout frais pressé, tout fier dans ses habits de lumière, le voilà qui attend au fond de sa boîte en carton les bras solides ou les jolies mains qui le mettront derrière la vitrine sous les néons de la gloire. Mais voilà, on ne l’attend pas, pas lui en tout cas, et il reste parfois au cachot pendant des jours et des semaines, lui qui pensait déjà être désiré, le con. Puis un jour, forcément, on finit par ouvrir le carton, surtout qu’il encombre, et emporter les livres endormis sur le devant de la scène… Mais je vais plutôt laisser mon livre, « Le massacre des innocents », désormais un vieux de la vieille, vous raconter directement ce qui lui est arrivé et la peur qui lui soulève encore le cœur aujourd’hui en se remémorant ces terribles moments !
Derrière la vitrine, pour nous, livres d’auteurs inconnus, c’est plutôt tout au fond du magasin à gauche, à côté des chiottes ou de la porte de la réserve. Et c’est là que je me suis retrouvé, mais « en p’tite pile », comme ils disent. Par trois en fait. C’est le chiffre minimum pour mériter de s’appeler « pile ». Je suis donc plusieurs et en pile. On a murmuré que j’avais une office de trois. D’où une certaine fierté, forcément. Un premier moment de félicité. Bien éclairé par la fée électricité, je regarde autour de moi mes confrères et consœur de gloire. Y’a des vieux de la vieilles, des consacrés, des vantards, des arrivistes, des « comme moi » un peu intimidés, et plus avant, dans la lumière du jour, des trucs bizarres, qu’ils appellent : les Beast Sealer, «animaux marins», si je traduis bien ? Ça ressemble à des livres, mais avec couverture doré et embossée, et avec le nom de l’auteur EN ÉNORME. Mais moi qui sais, comme tous les livres, lire les autres livres par simple télépathie, je peux vous dire que ce n’est pas que de la littérature. Comment vous dire ? Ça ne raconte rien et ça le raconte mal. Serait-ce l’œuvre d’un âne ? Mais que fait la douane ? Le plus incroyable, c’est qu’ils n’ont pas de titres. Ou alors en tout petit. C’est le nom de l’auteur qui sert de titre ? Et les gens demandent : «Le dernier… suivi de leur nom». Bizarre, non ? Et en plus, ils sont bavards ces bêtes marines. On les entend bavasser et dire des bêtises plus grosses qu’eux, s’engueuler même. Une certaine Nothomb traite sa voisine Loana de pute. Levy traite Levy d’arriviste, ou le contraire. Et quand ils ne s’insultent pas, ils ne parlent que d’une seule chose : la grosseur de leur tirage. Moi qui en ai un tout petit, je dois avouer que ça m’a foutu des complexes. Ils en ont des 100 fois plus grands. On a beau dire, chez nous les livres, que c’est pas la taille qui compte, je n’arrive même pas à imaginer comment ça peut entrer… dans les librairies, je veux dire.
Enfin et dernière surprise du jour, il y en a partout. Et, le jour même de leur sortie, ils se retrouvent dans les meilleures ventes, les conseils d’achat, les nouveautés et même dans « le coup de cœur du libraire », lui qui ne l’a même pas ouvert. Comment est-ce bien cela possible que ça ce peut se faire un truc pareil ? Moi, avec toutes ces bizarreries, bêtement, j’avais un peu peur pour eux. Je me disais qu’avec une telle quantité, ils risquaient de rester en stock et se retrouver dans notre enfer à nous, au… Je n’arrive pas à prononcer le nom. Ne m’en veuillez pas, mais LEPILON… ça y est, je l’ai dit… c’est notre cauchemar.
« Combien pour ce petit chien dans la vitrine ? » La chanson de la gentille vieille dame blonde n’arrête pas de tourner dans ma tête. Je ne suis qu’un livre, je sais. Merci de me le rappeler. Mais j’ai vraiment cette impression. Celle d’un chiot qui gémit et fait des grâces pour que le passant me prenne avec lui. Que ce soit un vieux, une femme ou un ado, qu’importe, pourvu qu’il m’emporte. Oh, chuuuuuuut ! J’en vois une qui s’approche. En plus, elle est super mignonne. Ses jolis yeux glissent sur les livres. Encore deux, et ce sera à moi. Je glisse un mot au singe qui pose sur la couverture : « Tiens-toi bien. Souris au moins ! » Mais, au même instant, je réalise qu’avec la tête qu’il a, sourire serait encore pire… Entre nous, la petite bête n’est pas gâtée par la nature avec son râtelier et ses yeux exorbités. Quelle idée a eu mon éditeur de choisir cette couverture, enfin ! Au moins qu’il ne frappe pas ses cymbales au moment où une éventuelle lectrice pose ses doigts. Imaginez l’histoire. Le hurlement de la pauvre fille et pour nous le bannissement, le retour dans le carton. Déshonneur et réprobation. Ça y est, elle me regarde. Je bombe le torse de toutes mes 392 pages. « Allez, allez, emporte-moi à la plage ! » Mon Dieu, quelle émotion, elle m’a prise entre ses doigts, elle me retourne et déchiffre mon derrière. Ils appellent ça la « Katatdeder » ou « 4, 2, groove ». Oh, temps, suspens ton vol ! « Non, non, me repose pas » Salope, elle me plaque dès la première rencontre. Elle ne me regarde plus, sans même avoir fini de me mater le cul. Son regard semble avoir été comme tordu par une force invisible. Quécéquecé ?
« Ciel Marc Levy » hurle-t-elle. Zut, merde et crotte, il y avait une autre forêt de pile derrière moi. C’est foutu. Je vois mon amour s’en aller, l’air déjà satisfaite, l’orgasme en poche. Cette daube, (même le Sempé de la couverture est faux) un orgasme ? Mais dans quel monde m’as-tu fait naître Mallock ? Je sais que fin août, même si, ni mon éditeur ni mon auteur ont eu le courage de me le dire, il en sera fini pour moi. Il me reste 30 jours pour être sauvé, porté aux nues ou… partir en enfer. Nous, les livres, on a pour lui, un petit nom : « LEPILON ». (Je sais je me répète, mais c’est à cause de ma correctrice, elle est en vacances) Après avoir été mis de côté par le tsunami des Bêtes Marines (Ils disent Beast-Sealer) en juin, je vais être balayé par la seconde vague, toujours la plus forte. Ils les appellent les SS (Sorties de Septembre). Dans quel Monde impitoyable m’as-tu fait naître Mallock ? Comment, c’est une répétition ? La belle affaire. C’est une figure de style comme une autre.
Comme tous les autres livres le font, pour me rassurer, de temps en temps, je m’ouvre et je lis quelques phrases au hasard, comme pour me prendre en faute. Essayez peut-être de comprendre le désamour dans lequel je me sens : « En ce lieu, aujourd’hui, Tom lui parla de nuages cannibales, de la danse des âmes indécises et de la nostalgie des arbres. Amédée l’écouta sans l’interrompre. Lorsque le moment fut venu de se quitter, il lui caressa le front et lui murmura : Ne bouge pas d’ici, papa revient ! » Et merde, c’est pas d’la merde, comme dirait machin-chauve. Non ?
Pour rire, je me suis glissé dans le dernier Levy. Et, entre nous, si j’avais eu une vessie, je me serais pissé dessus. Je n’ai pas trop envie d’en parler à mon auteur, mais ça m’inquiète. Si les gens qui passent sont capables d’acheter un truc pareil, on est mal barré. Ce grand couillon de Mallock n’a pas tout compris. Moi, je sais. Ce qu’il faut mettre dans son prochain roman, vous savez ce que c’est ? Hein, de l’action ? Mais non, dans le Massacre des Innocents, il y en a plein. Du style ? Surtout pas, c’est déjà trop bien torché. Non, vous n’y êtes pas. S’il veut vendre, il doit impérativement introduire de la… Vous ne devinez pas. C’est le grand secret aujourd’hui, maisiii ! On en met partout… et de plus en plus, en grandes couches grasses… mais moi, je n’ose pas en parler à Mallock, il est bien trop orgueilleux. Approchez-vous, je préfère le murmurer, après tout, c’est un secret. Voilà, ce qu’il doit ajouter dans ces Chroniques Barbares, c’est un peu de : « médiocrité » l’épice sacrée, le secret du succès ! Beaucoup de ce truc et de l’autre condiment, et hop, on fait un carton. Sinon, on retourne dans le carton. Comment ? L’autre condiment ? Vous rigolez ? Sans notoriété, en poudre, en injection ou en suppositoire, pas de succès possible. L’acheteur de livre est, pour l’essentiel, un mouton, même si l’on ne doit jamais le dire. C’est un crétin qui lit où on lui dit de faire.
Ça y est, c’est enfin arrivé, le coup de foudre. Sincèrement je ne m’y attendais plus. Trois jours à voir passer devant moi une foule d’inconnus ne s’abaissant même pas à me regarder, je me voyais mourir puceau broyé par LEPILON. Et puis non. Elle s’est approchée lentement. J’ai tout de suite vu que c’était quelqu’un à part, quelqu’un de rare. Elle attrapait pleins de livres, les retournait amoureusement et après lecture les reposait gentiment, comme si elle s’excusait. J’ai alors compris que je n’avais pas devant moi une consommatrice, mais ce qui nous fait vibrer nous les livre, la figure légendaire : la lectrice. Elle a regardé le singe sur la couverture, a plissé son joli nez. J’ai eu peur. L’autre abruti allait-il lui faire peur ? Et puis non, elle m’a pris entre ses mignons petits doigts et a lu ma « 4, 2, Coooooooov », celle que mon Binsztok d’éditeur avait rédigée. Et là, ça a été le grand pied. Je me suis senti voler. Après, ça a été un peu plus violent avec mise dans un sac et voyage vers une destination inconnue. Je me suis fait un film. Franchement, ça ressemblait à un enlèvement. J’aurais préféré rester dehors et jeter un coup d’œil sur la ville, en vrai. Mallock a beau me la décrire dans certaines pages du « Massacre », ça vaut pas la réalité. Mais voilà, j’ai fait la ballade au fond d’un sac. Enfin ! C’est mieux que rien. Finie la Fnaque et sa musique d’ascenseur, me voilà libre pensais-je.
Mais ma grande aventure n’était pas terminée. Dès le lendemain, sans avoir pris la peine de me sortir de mon plastique, elle m’a fourré, tout de go, dans une valise. Petite compensation, je me suis retrouvé entre un pantacourt en lycra noir, une jupe Alaïa et une superbe nuisette, soie naturelle et dentelle de Calais. Des flagrances subtiles de muguet et de numéro 5 côtoyaient l’entêtante odeur de bergamote des produits solaires… Je sais, c’est bien décrit, mais c’est l’un des avantages d’être un livre, on a de la culture et du vocabulaire (Sauf les Bêtes Marines).
Le lendemain matin, le train s’est ébranlé lentement et la lumière m’a aveuglé. C’était-elle, l’être aimé. Elle me ressortait de ma cage pour profiter de moi pendant le voyage. Émotion suprême, après avoir été écrit, lu et relu par le même gros couillon de Mallock, subi ses ratures et ses repentirs, j’allais enfin être caressé par de nouveaux yeux. Et quels yeux ! C’est très doux et un peu angoissant en même temps, ces yeux qui glissent sur mes phrases, au fil des pages. Mignon aussi, ce front un peu plissé par la concentration et ses lèvres qui parfois forment des mots tout en les lisant. Quelle belle expérience pour moi qui ne suis qu’un livre. Je crois que je suis ce que les humains et les écrivains appellent : amoureux. Je ne me souviens même plus de la tête de Mallock, alors qu’on a passé des centaines d’heures face à face. Je n’ai envie de rien et je ne pense qu’à elle, à l’instant où elle me reprendra dans ses doigts.
Une fois arrivée au bord de la mer, elle m’a posé sur sa table de nuit. Et dès le lendemain matin, elle m’a emporté avec elle à la plage… J’aurais jamais cru que c’était aussi chaud, ce truc que vous appelez soleil. Bien sûr Mallock en a fait moult descriptions, mais il faut le vivre en vrai pour vraiment comprendre. Vers trois heures de l’après-midi, ma couverture était brûlante et le singe essayait de plisser des yeux. Le pauvre m’a demandé d’intercéder auprès de notre lectrice pour aller lui acheter des lunettes noires. J’ai cru qu’il commençait à avoir la grosse tête. Mais ce soir, c’est moi qui souffre. Le sable entre les pages me gratte et m’empêche de m’endormir.
Enfin, ce sont là de bien petits désagréments pour une immense satisfaction. J’aime tant lorsqu’elle sourit à un passage ou qu’elle le relit. J’adore quand l’action se tend et qu’elle me dévore. C’est une sacrée expérience, de sentir les petites dents de ses yeux me grignoter à toute allure, ligne après ligne (Rassurez-vous, les pages se reconstituent au fur et à mesure !). Et je me dis que ça valait la peine d’avoir passé des jours en pile, ignoré de tous, lorsqu’elle parle gentiment de moi à ses amies. Qu’est-ce que je suis fier lorsqu’elle s’écrie : « Ce bouquin est génial. Il faut absolument que tu le lises ».
Y’a qu’un truc cependant qui vient quelque peu nuancer mon enthousiasme… c’est quand elle brise, sans pitié, l’une de mes pages avant de me refermer. Je ne suis pas complètement con, j’ai compris. C’est pour retrouver l’endroit exact de sa lecture. Mais c’est douloureux, un peu comme un claquage dans une cuisse, et franchement, elle pourrait utiliser un « marquetapage » en carton, tout le monde en distribue de nos jours. J’avoue, mais c’est un goût personnel, que je serais on ne peut plus heureux si elle en glissait un en or ou en ivoire entre mes pages. Mallock prétend que je suis parfois un peu snob, le rustre ! Je suis un peu angoissé… Encore quelques pages et elle m’aura fini. Que va-t-il se passer après ? C’est bête, je le sais, mais je n’y avais jamais pensé. Pour moi, c’était un truc qui durerait toute la vie. Amour, toujours, tendresse, caresse ! Maintenant je commence à soupçonner que, pour un livre, c’est plus dur, plutôt : « No future ! ».
Que deviennent les livres quand on les a lus ou qu’on ne les aime plus ? Je sais bien qu’elle ne va pas me garder près d’elle. Elle a déjà promis de me prêter à trois personnes. En même temps ? Une sorte de partouze littéraire ? Ou l’un après l’autre ? Je ne sais pas et je m’inquiète. Quand vais-je la revoir, dans quel état vais-je me retrouver, quelle bibliothèque et dans quelle étagère (ah, ah) ? Ça y est, c’est fini, elle m’a terminé. Elle a refermé ma couverture avec un grand sourire et un profond soupir de satisfaction. Ne serait-ce pas ça l’orgasme ?
Maintenant mes phrases sont dans les mains du destin. Va-t-il être bon pour moi ? Mystère et boule de gomme. En attendant, elle m’a rangé amoureusement dans sa bibliothèque personnelle. Entre Nerval et Montherlant. D’abord j’ai débordé d’orgueil, puis je me suis rendu compte que ce n’était dû qu’au hasard de l’alphabet. Enfin, quoi qu’il en soit, leurs conversations sont passionnantes. Et je crois qu’ils m’aiment bien. Mieux, ils m’ont lu et me respectent. « Pour un thriller, c’est plutôt pas mal » a fini par lâcher Montherlant. « Il n’y a pas de quoi se pendre, mais c’est de la belle ouvrage » a rajouté Nerval.
Une semaine s’est écoulée et déjà elle me manque. Quand je dis « elle », je ne parle pas de ma lectrice, mais de la sensation d’être caressé par ses yeux. Je suis devenu pire que mon auteur : je veux être lu, ne pas rester ainsi muet dans la verticalité poussiéreuse d’une bibliothèque. C’est là que mon infirmité se révèle la plus cruelle. Dénué de pattes, je ne peux pas faire comme les chiens et les chats, des grâces et des ronrons pour être pris dans les bras. Nous, les livres, on « reste » à la merci de l’oubli ou pire, d’un enfant illettré à qui viendrait l’envie de nous arracher les pages en riant.
Il faut absolument que je vous raconte. Il m’est arrivé quelque chose d’incroyable. Ma lectrice était très amie avec une charmante vieille dame avec laquelle elle parlait de « choses et d’autres ». J’aime beaucoup cette expression : « de choses et d’autres ». Si j’écrivais un livre – ce qui serait un pléonasme, voire une tautologie – je l’appellerais comme ça « De choses et d’autres ». Car c’est comme ça que je pense, en passant du coq-à-l’âne. Tiens, ça aussi, ça ferait un bon titre : « Du coq-à-l’âne ». Sous-titré : les mémoires d’un polar. Enfin ! Revenons à ma grand-mère. Ou plutôt à la vieille dame digne. Ça aussi, ça ferait un bon titre : « La vieille dame digne ». Bon, bon, OK, j’arrête. Donc, au début, je n’ai pas trop compris ce qu’elle faisait. J’ai honte, j’ai même cru qu’elle était « dame pipi » dans un restaurant. Elle n’arrêtait pas de dire qu’elle restait des heures assises à regarder des gens passer. Et elle parlait de personnes qui revenaient et qu’elle finissait par bien connaître. De plein de pièces d’un euro, qu’elle devait compter le soir pour « faire sa caisse ». Je l’avais imaginée donc dans les toilettes d’un grand restaurant. Ridicule, j’étais ridicule.
En fait, elle est bibliothécaire. Une bibliothèque de village. Un euro, la location de livre pour une durée d’un mois, renouvelable gratuitement deux fois. Ne faisant pas partie des grandes biblis reconnues, elle doit se fournir elle-même en livre. Et c’est là que ma lectrice bien-aimée et votre serviteur interviennent. Roulement de tambour : J’ai été donné en cadeau à la bibliothèque municipale de Plouc-sur-Mer ! Non, non, c’est pas une moquerie, c’est bien le nom du village : « Plouc ». Moi, je trouve ça plutôt mignon, non ? La charmante vielle dame a commencé par me lire « pour se faire une religion » avait-elle précisé à ma lectrice, et savoir à qui elle pourrait me recommander. J’ai d’abord compris qu’elle allait en « recommander » et ça m’a fait plaisir, surtout pour Mallock qui n’arrête pas de s’inquiéter et de se lamenter à la vue des chiffres de vente.
Je crois qu’il m’en tient un peu pour responsable, moi qui fais tout pour séduire ! L’ingratitude des écrivains est légendaire. On en parle entre nous, les bouquins, comme de l’illettrisme croissant des lecteurs, l’amateurisme alarmant des libraires et le manque de couille des éditeurs. Revenons à ma petite dame. Et bien figurez-vous qu’elle n’a pas eu peur, pas joué ses bêcheuses devant le sang et les morts. En fait… elle m’a A-DO-RÉ ! Et c’est là que les choses ont pris une drôle de tournure… Aujourd’hui, en me retournant vers mon passé, vers ce matin de juin où je me suis retrouvé exhibé au fond d’une librairie, je me dis que je n’ai rien à regretter. J’ai vécu pleinement ma vie de livre. Certes, je ne me serais jamais attendu à me retrouver cartonné et recouvert de sept couches de scotch, mais l’attention est louable. Ils veulent me faire durer. Incroyable, non ? Moi, qui étais si paniqué à l’idée de finir entre les mâchoires de Lepilon, je suis presque comme un chat avec ses sept vies. Il est certain que, si Mallock me voyait, il ne serait pas forcément content. L’image de couverture a jauni et le singe a perdu de sa splendeur. On m’a greffé un curieux étui plastique dans lequel de charmantes vieilles dames glissent une fiche raturée de noms. Des noms qui ne sont pas des étrangers pour moi, bien au contraire. Et c’est là ma grande aventure : je passe de mains en mains, de demeures en châteaux, d’appartements modestes en somptueuse villa. J’aurais jamais imaginé un tel destin alors que j’étais, hier encore, tout pétrifié, derrière la vitrine.